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Comportement du consommateur et société de consommation

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Malaise dans la société de consommation

Essai sur le matérialisme ordinairematérialisme et consommation




 

 

 (lire l'introduction)

 

Pourquoi sommes-nous (presque) tous un peu matérialistes ? Les biens matériels occupent une place incroyable dans nos vies. En consommant, l’individu dessine les contours de sa vie, la modèle selon un schéma qui lui est propre. Consommer beaucoup, ou plus que nécessaire, c’est être matérialiste. Mais peu de personnes acceptent de se considérer comme matérialistes. Pourtant dans les pays développés un matérialisme diffus se répand dans toutes les couches de la société. Un petit « pas grand-chose » qui fait que l’on consomme un peu trop. Ce petit « pas grand-chose », nous l’avons appelé le matérialisme ordinaire. L’objet de cet essai est de déconstruire les rouages de la relation que nous entretenons avec nos possessions matérielles. Comment et pourquoi nous attachons-nous à certains objets et pas à d’autres et pourquoi achetons-nous systématiquement un peu trop de biens matériels ? Quelles relations existe-t-il entre le matérialisme, les différentes formes de consommation, la construction identitaire et les valeurs des individus dans un environnement social incertain ? Que penser de la socialisation économique et des questions de société que pose le matérialisme ? Telles sont les questions fondamentales posées dans cet essai qui nous permettront de mettre en évidence la logique et la dynamique du matérialisme ordinaire dans la vie quotidienne.

 

 

 

Le basculement de la société de production vers la société de consommation

 

La société de consommation a émergé depuis de nombreuses décennies. Nous sommes passés progressivement d’une société centrée sur la production à une société de consommation. Concrètement, par le passé, la très grande majorité des hommes et des femmes était mobilisé par la production afin d’obtenir quelques ressources, la consommation avait alors pour fonction de subvenir à des besoins élémentaires. Depuis il y a eu un basculement. Les ressources financières ou les flux financiers étant devenus plus abondants, la société de consommation a émergé dans une logique d’échanges marchands. Cela signifie que la société met à la disposition des consommateurs des biens manufacturés prêts à consommer et plus seulement des outils dédiés à la production. Historiquement cela s’est réalisé sur une période longue de plusieurs siècles. La société de consommation, ou la consommation de masse, telle qu’on la conçoit aujourd’hui, trouve sa source au cours du XVIIIe  siècle.

 

Si l’on suit Braudel il faut, lors de cette évolution, considérer la société de consommation en plusieurs strates ou couches superposées. D’un côté les foyers paysans qui fonctionnent essentiellement sur le mode de l’autoproduction, d’autre part la sphère des villes avec les marchés locaux, les commerçants, les colporteurs et à une plan grande échelles les foires et enfin les grands échanges internationaux qui se déploient sur de longues distances qui ne s’inscrivent pas dans la transparence ou la concurrence. Entre ces couches s’établissent des liaisons ou des connexions inextricables qui progressivement tissent la société de consommation, telle qu’on la connaît aujourd’hui.

 

 

La société de consommation : une ère d’opulence et d'abondance

 

On associe fréquemment la société de consommation actuelle à une société d’opulence (Galbraith). Elle ne présente plus les caractéristiques des époques précédentes marquées par des vagues de pauvreté et une économie de subsistance. Les marchandises sont abondantes et de plus en plus d’individus y ont financièrement accès. Cette abondance ne doit pas éluder la précarité qui reste présente. Ces marchandises sont des signes que les possesseurs véhiculent. Ils souhaitent affirmer qui ils sont à travers leur consommation. A bien des égards, la société de consommation est une société du spectacle (Debord) et l'on pourrait ajouter un spectacle vivant.

 

Ne pas pour avoir accès à cette opulence est un signe de disqualification sociale. C'est l'une des raisons qui conduit certains individus ou foyers modestes à a accéder à des biens ostentatoires comme des voitures plus luxueuses que ne permet leur niveau de vie ou des téléphones portables de haut de gamme. Pour Baudrillard, la consommation est ludique, mais que "le ludique de la consommation s'est substitué progressivement au tragique de l'identité". La société de consommation se présente alors sous un angle particulièrement violent.

 

La société de consommation promeut un art de vivre basé davantage sur la possession, l'avoir que sur l'être. L'être s'inscrit dans dans des relations sociales, dispose de valeurs communautaires et se construit dans l'action. L'avoir n'est que la recherche d'extensions de soi dans le sens où elles sont susceptibles de combler ce l'individu est et ce qu'il souhaite être à titre personnel ou dans une logique sociale. Combler, c'est admettre l'idée que l'individu a perdu au moins certains de ses repères et qu'il cherche à se constituer une identité pleine et entière. A défaut d'être par soi-même, la personne se construit dans et par la société de consommation, révélant sa vacuité et son désir de construction de soi.

 

 

La consommation signifiante

 

La relation aux biens matériels est complexe, étonnamment diversifiée et concerne bien des compartiments de la vie. Dans la société contemporaine, l’abondance des biens matériels est troublante. Les individus consomment pour des raisons très différentes et qui se combinent (utilitaire ou fonctionnelle, symbolique ou encore hédonique et expérientielle). La logique de la consommation est multiple, mais on ne peut que difficilement se soustraire de la société d’abondance. Les biens matériels s’offrent à la vue de tous. Présents aussi bien dans les points de vente que sur Internet, ils sont susceptibles d’être désirés, parfois achetés, de manière raisonnée ou plus impulsive, mais quoi qu’il en soit, ils sont omniprésents dans la vie quotidienne. Parfois, ils sont achetés de manière irraisonnée, c’est-à-dire compulsive. C’est le signe d’un mal-être qui nous interroge sur la relation entre les biens matériels et l’identité. Dans ce cadre, il apparaît tout d’abord que l’identité que l’on peut approcher par le concept de soi est soumise à des tensions. Il y a des écarts entre le soi réel, le soi idéal et le soi social réel ou idéal et les biens matériels peuvent servir à résorber cet état de tension. Les biens matériels permettent en effet de tendre vers ce que la personne considère être comme le soi idéal. Dans cette perspective, les biens matériels ont volontiers un aspect signifiant, pour soi ou pour autrui. Cet attachement à certains objets singuliers participe à la construction identitaire de l’individu et ne peut être assimilé à du matérialisme. 

 

 

Les différentes figures du matérialisme

 

Le matérialiste est défini dans la littérature comme un individu envieux, possessif, non généreux pour qui les biens matériels sont un moyen d’accéder au succès et au bonheur. Il est soucieux de sa réussite financière, aspirant à la reconnaissance et l’attractivité sociale et les achats occupent un rôle central. Évidemment sous cet angle, personne n’est en mesure de se reconnaître matérialiste. À partir des travaux de Fromm sur l’être et l’avoir, nous avons tenté de former une typologie de quatre figures de la société de consommation : la précarité, la simplicité volontaire, le matérialisme ordinaire et le matérialisme radical. Ces figures nous semblent plus riches qu’une vision linéaire basée sur le degré de matérialisme et qui ne mobilise que la question de l’« avoir ». Cette configuration présente tout d’abord l’avantage de réintégrer la précarité dans l’espace social de la consommation. Par ailleurs, la distinction entre le matérialisme ordinaire et le matérialisme radical nous paraît essentielle car elle nous interroge sur le rôle des possessions dans la possibilité de construire son « être ». Dans un cas les possessions ne sont pas indispensables pour légitimer l’« être », alors que dans l’autre, les possessions constituent probablement l’un des rares moyens pour l’individu de structurer son existence et obtenir de la reconnaissance sociale.

 

 

Matéralisme et bien-être

 

Dès lors, la question du matérialisme est celle du bien-être ou celle du bien « être ». D’une manière générale et presque certaine, il y a une relation négative, mais modérée, entre le degré de matérialisme et le bien-être subjectif. L’adoption de valeurs communautaires semble préserver l’individu du matérialisme. Mais c’est sans compter sur la socialisation économique, qui promeut sans discernement le plaisir immédiat et la satisfaction de tous les besoins, contre laquelle bien peu de voix discordantes s’élèvent pour dénoncer ce discours dominant. Il y a sur ce point des efforts considérables à faire pour mieux appréhender la socialisation économique, notamment chez l’adulte et au-delà du cadre normatif des connaissances de bases pour évoluer dans la sphère marchande.

 

 

Le matérialisme et ses conséquences sociétales

 

Le matérialisme est également de nature à poser des problèmes de société. En effet la société de consommation est inondée de marchandises qui, pour leur fabrication, ont nécessité l’utilisation massive de ressources naturelles. À terme, la société ne sera plus soutenable. Ce qui pose le problème de la croissance et la manière de la gérer. Mais nous sommes également entrés dans une société du risque. Les risques industriels et écologiques sont multiples. Comment le progrès peut-il enrayer cette dynamique ? Il faudra bien un jour se poser frontalement la question. Par ailleurs, la société de l’information est-elle capable de produire de nouveaux modèles de croissance et de consommation ? Rien n’est moins sûr du point de vue de l’historien. De notre point de vue, il est préalablement indispensable de sortir de cette fiction qui consiste à penser que seuls les biens matériels permettent de répondre à des besoins identitaires et nous avons l’espoir, plus que la conviction, que la société de l’information est de nature à produire des dispositifs qui permettront aux individus de structurer leur identité autrement, par l’affiliation à des réseaux, par une vie communautaire plus enrichissante ou par la reconnaissance interpersonnelle. 

 

 

Le matérialisme ordinaire

 

À bien des égards, le matérialisme ordinaire répond à une problématique personnelle et sociale dans un environnement saturé de biens qui sont autant de signes permettant l’expression de soi. Mais ce sont aussi des signes permettant à l’individu de se construire une représentation de lui-même, un concept de soi. S’il devait y avoir un problème, celui-ci résiderait dans l’évolution de la société, sa fragmentation, le déclin des institutions et l’envahissement par les biens matériels. Si cette évolution est conjuguée avec les difficultés d’adaptation de l’individu dans cette société déstructurée, nous disposons de tous les éléments pour comprendre la dynamique du matérialisme ordinaire. On peut conduire son existence de manière harmonieuse sans nécessairement posséder beaucoup de biens matériels. De notre point de vue, il est cependant peu judicieux de stigmatiser le matérialisme. En effet le matérialisme ordinaire concerne pratiquement chacun d’entre nous. Il peut être lié au mal-être subjectif, mais pas nécessairement. Lorsque l’individu ne dispose pas des valeurs qui lui permettent de se prémunir du matérialisme et lorsque l’environnement social est à l’origine de tensions identitaires ou lorsque l’individu est sensible à la comparaison sociale, l’adoption de comportements matérialistes est logique, mais la réponse est inadaptée. En effet, les possessions matérielles disposent de significations qui ne font que renvoyer à d’autres significations, appelant à l’acquisition récurrente de nouvelles possessions matérielles. Mais on ne peut négliger que le matérialisme ordinaire peut être source de bien-être. La consommation hédonique ou expérientielle s’inscrit dans cette logique, même s’il est probable que les consommateurs sont vigilants aux signes que véhiculent leurs acquisitions ou leurs expériences. Cette question doit à l’avenir être mieux investiguée. On ne peut pas se satisfaire de résultats qui mettent en évidence que plus on est matérialiste et moins on est satisfait dans la vie, dans le cadre d’une relation supposée linéaire qui est au final relativement modérée. Cela pose des questions et il nous paraît indispensable de dissocier les individus qui relèvent d’un matérialisme ludique de ceux pour qui le matérialisme est au final la conséquence d’un mal-être identitaire.