Comportement du consommateur et société de consommation
" c'est une pensée magique qui régit la consommation, c'est une mentalité miraculeuse qui régit la vie quotidienne "
Baudrillard, La société de consommation
La consommation est l’une des formes élémentaires de la vie quotidienne et l'étude du comportement du consommateur et de l'acheteur une démarche indispensable. Le développement de la société moderne a conditionné un environnement lourdement chargé d’objets, de signes et d’interactions fondées sur des échanges marchands. La production de biens manufacturés augmente de manière inflationniste et les prestations de services ne cessent de se développer et de se diversifier. A ce phénomène s’ajoute l’accélération du renouvellement de l’offre disponible. Face à cette complexité, les acteurs économiques, analystes ou praticiens, cherchent des repères car les enjeux sont de taille, tant pour les praticiens du marketing que pour les organisations de défense des consommateurs. Si l’on accepte que l’étude du comportement du consommateur et de l’acheteur est en mesure d’apporter aux entreprises un cadre d’analyse susceptible d’augmenter leurs performances économiques, ce même cadre d’analyse est exploitable par les organisations de défense des consommateurs pour contrer certaines dérives du marketing.
Un premier niveau de lecture du comportement du consommateur et de l'acheteur concerne les acteurs. Il est en effet indispensable de pouvoir qualifier les individus impliqués dans les comportements d’achat ou l’activité de consommation. Dans cette perspective, il s’agit tout d’abord de décrire l’environnement socioculturel dans lequel le comportement du consommateur est inséré. L’environnement culturel, familial et social constituent des sources d’influence qui ne peuvent être négligées. L’individu construit sa trajectoire de vie à partir d’un héritage constamment actualisé, que l’on qualifiera d’actif socioculturel et qui détermine au moins partiellement ses valeurs, son style de vie et par voie de conséquence certains de ses choix en matière de consommation.
En fonction de sa position sur sa trajectoire de vie, l’individu devra être qualifié à partir de nombreuses variables sociodémographiques telles que sa catégorie socioprofessionnelle, son sexe, son âge, et sa situation dans le cycle de vie familial. En qualifiant les acteurs sur la base de leurs caractéristiques sociodémographiques, on est également en mesure d’apprécier leurs ressources. Celles-ci ne sont pas limitées aux ressources financières et intègrent également le temps.
Enfin, il s’agira de détailler les mécanismes de l’influence psychosociologique, afin de comprendre comment la participation à des groupes sociaux affecte les préférences ou les choix en matière de consommation.
Ce premier niveau de lecture permet ainsi de situer socialement les acteurs, d’appréhender leur logique de consommation ainsi que leurs principaux arbitrages budgétaires. Si de telles analyses sont avant tout de nature compréhensive, elles offrent également la possibilité de qualifier les acteurs en fonction des comportements qu’ils développent, des rôles qu’ils assument ou des compétences qu’ils mobilisent. Elles sont de fait à la base de toute démarche de segmentation désormais indispensable pour la compréhension des comportements d’achat et de consommation.
Le second niveau de lecture a trait aux compétences des acteurs. Il permet de mettre en perspective les processus de traitement des informations qui concourent directement ou indirectement à la prise de décision.
Les consommateurs puisent des informations dans leur environnement et pour ce faire, ils mobilisent des processus perceptuels à l’aide desquels les informations ainsi extraites deviennent intelligibles et sont susceptibles d’être interprétées afin de servir de base à la décision ou à l’évaluation. On pourra alors mieux apprécier la manière dont sont exploités les messages publicitaires et d’une manière générale l’ensemble des informations commerciales utilisables par l’individu (packaging, bouche à oreille, etc.) et ainsi expliquer les décalages entre le message que l'entreprise entend diffuser et ce qui est effectivement compris par le destinataire.
Lorsque les informations disponibles sont interprétées, elles peuvent éventuellement être mémorisées afin d’être exploitées ultérieurement. La compréhension de ces mécanismes est particulièrement importante pour identifier l’impact des différentes stratégies d’exposition publicitaire, mais aussi pour apprécier la manière dont les informations se structurent en mémoire. En effet, selon l’organisation des connaissances en mémoire, les informations sont plus ou moins facilement exploitables et peuvent affecter le processus de prise de décision. L'étude la mémorisation des informations auxquelles le consommateur est exposé est essentiel à la mesure de la notoriété et le positionnement de l'offre.
Enfin, il sera nécessaire de détailler le processus de prise de décision de l'acheteur ou du consommateur, depuis la dynamique motivationnelle jusqu’aux mécanismes utilisés lors d’une délibération. Ces mécanismes sont très diversifiés et sont parfois affectés de biais importants. L’intérêt de cette approche est de comprendre la formation de la décision, l’aptitude de l’offre à répondre aux motivations de l’acheteur ou du consommateur mais aussi la manière d’exploiter les informations dans le processus de décision. Une investigation de qualité sur ces points permet tout d’abord d’apprécier le poids des caractéristiques de l’offre dans la prise de décision, de l’adapter ou de segmenter en conséquence. Elle permet également de gérer les informations à mettre à la disposition des acteurs et d’organiser la présentation des arguments afin de faciliter et d’orienter l’évaluation ou la prise de décision.
Le dernier niveau de lecture vise à appréhender sous un angle purement comportemental le comportement du consommateur ou celui de l'acheteur. Il sera alors nécessaire de distinguer les comportements d’achat et de consommation et de situer l’unité de décision. Par ailleurs, il faudra élargir l’analyse à la notion d’accès à l’offre qui est un pré requis au comportement d’achat et à la notion de satisfaction qui résulte d’une expérience de consommation ou d’achat. La distinction entre comportements d’achat et de consommation est décisive car l’individu n’assume pas nécessairement les deux rôles. L’individu peut par exemple développer un comportement de consommation, sans avoir participé au processus de prise de décision. Cette distinction n’est pas purement formelle. En effet selon le rôle qu’assume l’individu, il sera amené à mobiliser des ressources et des compétences différentes. L’acheteur doit gérer l’accès à l’offre mais aussi le comportement d’achat effectif, autrement dit la transaction. Il n’est pas forcément à l’origine de la décision et, dans ce cas, la délibération relative au choix d’un produit ou d’une marque ne le concerne pas. En revanche, il doit disposer des compétences et des ressources qui lui permettent de sélectionner puis de repérer un point de vente, d’en programmer l’accès et de s’adapter à l’interface commerciale. Le consommateur est quant à lui confronté à une problématique différente. Il doit par exemple disposer des compétences pour utiliser le produit ou exploiter son mode d’emploi, mais aussi évaluer dans quelle mesure l’offre répond à ses besoins et lui apporte satisfaction. De tels cas de figure soulignent la nécessité de définir clairement les comportements auxquels on s’intéresse (comportement du consommateur ou comportement de l'acheteur), d’en apprécier les spécificités afin d’identifier les compétences qui doivent être mobilisées. Cela permet indirectement de raisonner la manière de structurer la relation commerciale.
Concernant le premier niveau de lecture, basé sur la qualification des acteurs, la culture, les valeurs et les styles de vie offrent une approche compréhensive des acteurs auxquels on s'intéresse. Ces différents aspects concernent avant tout la publicité dans la mesure où ils permettent de situer le "cadre" général permettant de s'adresser aux acteurs concernés par l'offre. Si l’on assiste à un déclin du pouvoir explicatif des variables sociodémographiques classiques, elles ne peuvent cependant être négligées. Elles offrent encore à l’heure actuelle une grille de lecture intéressante qui révèle de nombreuses disparités dans les choix en matière de consommation, qu’explique notamment le niveau de revenu. En pratique, la véritable question ne consiste pas à s’interroger sur la pertinence des variables sociodémographiques dans la description des comportements d’achat. Il s’agit plutôt de savoir quelles sont les variables ou les combinaisons de variables qui sont les plus à même d’expliquer un comportement d’achat ou de consommation dans une situation donnée. Si pour certains produits la catégorie socioprofessionnelle est une variable pertinente, pour d’autres, la situation dans le cycle de vie familial, l’origine ethnique ou l’héritage culturel seront de meilleurs indicateurs pour apprécier les différences en termes de consommation. D'une manière générale ces variables permettent de segmenter la demande.
Les enjeux associés à l’analyse des compétences des acteurs sont de nature différente et participent plus directement à la mise en œuvre des actions de marketing opérationnel. La prise en compte des processus de la perception permet incontestablement d’améliorer la qualité de la communication de l’entreprise. Cela concerne des domaines aussi variés que les actions publicitaires ou promotionnelles, le design des emballages, le balisage des points de vente, la conception de catalogues de vente à distance ou la mise en place de sites Internet. En arrière plan, force est d’accepter l’idée qu’une information disponible n’est pas nécessairement perçue et encore moins comprise. Les enjeux associés à la mémorisation et à l’acquisition des connaissances concernent davantage les stratégies d’exposition lors de la mise en œuvre d’actions de communication, ainsi que les contenus des messages. Si certaines formes d’acquisition des connaissances sont de nature passive et ne peuvent que difficilement être optimisées, d’autres en revanche sont susceptibles de l’être. Dans cette perspective, une meilleure compréhension des modalités d’acquisition des connaissances et de leur organisation en mémoire est décisive est décisive en matière de notoriété et en matière de positionnement. Enfin la compréhension du processus de décision autorise une segmentation des attentes et par voie de conséquence une gestion plus affinée de l’offre commerciale. Par ailleurs, l’analyse de l’activité délibérative permet également de gérer une argumentation commerciale, en tenant compte des biais cognitifs et des facteurs émotionnels qui affectent le processus de décision.
Le dernier niveau de lecture consacré à l’analyse des comportements d’achat et de consommation permet de contextualiser l’activité comportementale et ses conséquences. L’acquisition d’un produit n’est pas mécaniquement conditionnée par la décision d’achat. Avant cela, l’individu doit accéder à l’offre. Or cette phase est susceptible d’avoir un impact sur l’issue de la décision d’achat. Une offre disponible n’est pas nécessairement accessible et une offre accessible ne l’est pas nécessairement dans de bonnes conditions. En analysant les conditions d’accessibilité, l’entreprise dispose éventuellement de la possibilité de faciliter l’accès. L’analyse du comportement d’achat relève de la même logique. Il est en effet nécessaire de situer temporellement la décision par rapport à l’achat proprement dit, mais aussi d’appréhender les conditions environnementales ou situationnelles qui sont susceptibles d’affecter la réalisation de la transaction. L’activité de consommation doit également être précisée avec suffisamment de nuances. La consommation peut être une réponse à un besoin purement fonctionnel, mais elle peut également être caractérisée à partir de l’expérience comportementale, intellectuelle ou émotionnelle qu’elle procure. L’activité de consommation, quelle que soit sa forme, donne nécessairement lieu à une réponse en termes de satisfaction ou d’insatisfaction. Dans la mesure où elle est susceptible d’avoir une incidence sur la réitération du comportement d’achat, il est légitime que l’entreprise lui accorde une importance privilégiée. D’une manière générale, l’analyse détaillée des comportements qui participent à l’activité de consommation ou d’achat permet de différencier les rôles des acteurs et donc des compétences ou des ressources qu’ils doivent engager.
Conclusions
L’analyse ddu comportement du consommateur ou de l'acheteur se révèle complexe. Les différents points abordés soulignent l’intérêt de développer des investigations toutes en nuances. Cela nécessite d’accepter l’existence de différents niveaux de lecture : la qualification des acteurs, les comportements spécifiques qu’ils développent et les compétences nécessaires à leur mise en œuvre. Chacun d’entre eux répond à des enjeux différents, tant en ce qui concerne l'étude du comportement du consommateur qu'en ce qui concerne la mise en œuvre d'actions de marketing opérationnel.
Indépendamment des enjeux opérationnels sous-jacents à l’étude du comportement du consommateur et de l’acheteur, se profilent de nombreuses questions sur le devenir de la société de consommation, l’éthique des pratiques commerciales et le poids des décisions politiques sur la structuration des marchés. En contrepoint, la question de l’identité de l’individu au miroir de sa consommation préfigure un bouleversement du champ des investigations. Ces interrogations pourraient à terme voir l’étude du comportement du consommateur et de l’acheteur opérer sur de nouvelles frontières de recherche à la marge de l’anthropologie économique.
Source: Ladwein R. (2003), Le comportement du consommateur et de l'acheteur, 2ieme édition, Economica, Paris.
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